jeudi 9 décembre 2010

Être ou ne pas être iPod


[Article publié sur NonFiction.fr, dans le pôle "Numérique, High Tech & décryptage du web" pour lequel j'écris]

Lancé en 2001 par la société Apple, l’iPod continue de susciter une véritable ferveur chez ses adeptes, ce qui ne laisse pas de surprendre. Innovation technique à travers la miniaturisation, esthétique épurée et universelle, récepteur nomade de nos goûts musicaux : autant de points sur lesquels propriétaires et non propriétaires d’iPod s’accordent. Pourtant, qu’est-ce que l’iPod, au fond, sinon un micro baladeur ? Pour nous éclairer, Vincent Rozé nous propose un petit ouvrage très complet intitulé Mythologie de l’iPod paru aux éditions du Cavalier bleu. “Mythologie” car c’est bien là la grande réussite de la firme à la pomme : donner à un objet de consommation courante sensible aux modes une dimension intemporelle. C’est aussi la grande réussite de l’auteur que d’avoir su montrer avec application l’ambivalence de ce petit rectangle extra plat dont le succès sait si bien traverser les années.

Vincent Rozé analyse en effet avec beaucoup de perspicacité cet incontournable de nos vies en le mettant avec régularité (et bonheur !) en perspective. Il évoque ainsi l’iPod au regard de la révolution de l’industrie et de la création musicale permise par Internet, des stratégies marketing qui dessinent son identité (à travers le rappel, notamment, de la campagne publicitaire “Think different” de 1996) ou encore des mouvements artistiques des Arts & Craft et du Bauhaus en ce qui concerne l’esthétique. Toutes ces mises en lumière, comme les références citées à bon escient de penseurs comme Barthes, Baudrillard, Ricoeur et autres qui éclairent de leur oeil vif ce phénomène qu’ils n’auront pas connu, donnent une vraie profondeur à l’analyse et permettent de parler véritablement de mythe.

Et comme dans tout mythe, le lien filial et social occupe une importance cruciale. Or, l’iPod, object fétiche, fédère bien autour de lui une communauté dont les membres se reconnaissent immédiatement entre eux. C’est que les utilisateurs de l’iPod ne se contentent pas de le posséder et de l’utiliser : ils l’affichent – littéralement – en l’agrippant au revers de leur veste, comme pour clamer “J’en suis !”, le côté parure (car il est beau, on le reconnait) en plus. Bref, quand on a un iPod, on est “cool” et on le fait savoir… pour appartenir au cercle Apple. Vincent Rozé emploie aussi le néologisme bien trouvé de “rêve-volution” qui traduit avec perfection l’importance affective et communautaire que revêt l’iPod auprès d’une génération qui n’aura pas fait la révolution mais aura vécu immobile et en musique – s’il vous plaît ! – ses illusions mentales ; car comme le remarque très bien le chercheur, l’iPod “fictionnise” d’une certaine manière les vies de ceux qui l’adoptent. Les propriétaires d’iPod se caractérisent également par un enthousiasme sans borne qui est d’autant plus fort que le choix de ce mp3 semble être le résultat d’une évidence. Même après leur achat, ses utilisateurs ne se plaignent ainsi jamais (de son coût, par exemple) et ne font pas allusion non plus à une éventuelle hésitation avec le modèle approchant d’un concurrent : on est tout entier dévoué à l’iPod ou on ne l’est pas !
Pourtant, ainsi que le montre très bien l’auteur de Mythologie de l’iPod, la réalité n’est pas si rose. Sans parler de la multiplication des sollicitations rendues possible par des récepteurs comme l’iPod (et donc de la perte d’attention qu’elles entraînent), de la frontière devenue indistincte entre privé et public, on peut en effet mettre en avant comme Vincent Rozé la stratégie marketing qui porte la communauté, l’esthétique et la technique iPod. Car pour Apple, qu’est-ce que l’iPod, sinon un gadget opportunity, un produit de tête de gondole qui doit attirer les uns puis les autres vers les ordinateurs de la marque ? L’iPod est un pas de plus dans la construction du mythe Apple et cela, l’auteur ne le perd jamais de vue, ce qui lui permet d’éviter l’admiration sans discernement.

Comment la société qui fabrique ce petit transistor, Apple, va-t-elle transformer ou faire évoluer le mythe ? Voilà une des problématique cruciales de l’ouvrage. Car si l’entreprise américaine a tout fait pour donner une intemporalité à son produit (à commencer par le design), celui-ci évoluera nécessairement techniquement (on ne peut pas vivre éternellement dans le présent !)pour qu’il ne soit pas simplement révolutionnaire mais devienne aussi mythique, souligne Vincent Rouzé. Il faudra qu’Apple fasse le grand écart et, étant donné l’efficacité et le talent du créateur de l’iPod, cette deuxième étape qui se dessine semble s’annoncer tout à fait réjouissante pour analyse.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Article intéressant, cela donne envie de lire l'analyse en question.

Sinon je ne pense pas qu'Apple devra nécessairement modifier son Ipod pour entretenir le mythe.
Déjà, et c'est expliqué dans le texte, l'Ipod est une composante d'un mythe appelé Apple et, depuis sa sortie, cet appareil s'est suffit de quelques améliorations minimes: capacités de stockage en augmentation, miniaturisation et dérivés (Ipod shuffle, écran couleur...
Si l'Ipod était un concentré de tout le savoir faire Apple, alors il cannibaliserait les ventes d'Iphone, Ipad...
Par ailleurs, Apple peut remercier Nintendo d'avoir ouvert la voie au grand public des technologies tactiles. Depuis la console portable Nintendo DS, Apple a eu le champs libre pour diffuser ses produits sans investir dans le changement des mentalités.
Je ne vois pas un grand écart dans l'avenir, mais plutôt une convergence des produits Apple vers un outils commun, ou une caisse commune.....A voir.

Lucie Poisson a dit…

@ Anonyme : Le parallèle avec les évolutions techniques (et marketing) observées dans le secteur des jeux vidéos me semble tout à fait pertinent ; je pense notamment à la Wii de Nintendo. Cependant, j'ai l'impression que la Wii, par exemple, est davantage une innovation technique que le iPod mais que Apple a mieux réussi que Nintendo, à travers sa gamme de produits, à créer une image de marque. Impression partagée ?

Anonyme a dit…

Que ce soit Nintendo ou Apple l'innovation technique est là, mais elle s'inscrit dans le cours des choses. l'impact de Nintendo est plus dans la consommation du loisir vidéoludique que dans l'innovation technique.
Si Apple a réussi à créer une image de marque plus forte que Big N c'est tout simplement car les produits Apple s'adresse à un plus large public que Nintendo, qui lui reste uniquement sur le marché du JV.
Si on s'iuntéresse de près à ce marché, alors on verra facilement que cette société possède sa propre image de marque qui puis est relativement forte.

Anonyme a dit…

Apple, objets fétiches : oui mais pas seulement. Apple, ce sont des produits de qualité, facile d'utilisation, avec un design original mais simple.
Apple est très innovant et a toujours plusieurs coups d'avance. Rappelons qu'Apple a peut-être créer l'ordinateur (ne lançons pas de polémique ici...). Baladeur MP3 avec molette tactile, téléphone avec écran tactile et applications, ordinateur monobloc avec performances optimisés, et j'en passe... Les concurrents arrivent plus tard et n'arrive pas (ou peu), même après quelques années, à rivaliser en terme de performance et d'ergonomie. Ne parlons pas du design...

Mais Apple reste une entreprise qui n'a pas pour unique but d'être glorifiée, mais doit gagner de l'argent. Rappelons que l'histoire d'Apple n'a pas toujours été rose, sa part de marché dans son secteur historique des ordinateurs a toujours été faible et faisait bien rire le concurrent Bill. Apple a trouvé un créneau qui fonctionne (l'innovation), et n'est pas prêt de le lâcher !

Pour revenir à l'Ipod, aujourd'hui, ses ventes sont en baisse, son concurrent principal qui lui prend une grande par de marché étant ... l'Iphone ! Comme le serpent qui se mord la queue, Apple s'est-il croqué sa propre pomme ?

Lucie Poisson a dit…

Effectivement, le succès d'Apple n'est pas uniquement fondé sur une image de marque mais sur de vrais questionnements (et réponses) liés à notre vie quotidienne. Cependant, l'entreprise est aussi très douée pour communiquer. Je vous recommande ainsi la lecture instructive du livre de Carmine Gallo, "Les secrets de présentation de Steve Jobs" (éd. Télémaque, 2010).

Tonitola a dit…

Quelque part, il vaut mieux pour le serpent qu'il se croque lui même sa queue qu'un autre, non? :)